Résumé |
"Si quelqu'un pouvait détenir dans sa mémoire tout ce qu'il a vécu, s'il pouvait à n'importe quel moment évoquer n'importe quel fragment de son passé, il n'aurait rien à voir avec les humains : ni ses amours, ni ses amitiés, ni ses colères, ni sa faculté de pardonner ou de se venger ne ressembleraient aux nôtres." L'épopée du retour appartient-elle encore à notre époque ? L'Odyssée serait-elle concevable de nos jours ? A quoi se rapporte la notion de patrie ? La brièveté de la vie nous permet-elle de nous attacher à un autre pays ? Comment accorder les mémoires de ceux qui se retrouvent après de longues années d'absence ? Les souvenirs ont-ils un volume temporel mesurable ? Comment cohabiter avec les morts ? Autant de questions que se posent Josef et Irena, de retour à Prague pour une courte visite. Il a quitté son pays pour le Danemark parce qu'il ne pouvait supporter de le voir asservi et humilié, elle est partie à Paris parce que la police secrète ne laissait pas son mari en paix. Veufs l'un et l'autre, ils se confrontent au passé, s'interrogent sur l'avenir vers lequel le présent les mène, se rencontrent. Ils orchestrent, à leur manière, la lente cérémonie des adieux définitifs à ce pays d'origine qu'ils aiment entre tous et qu'ils sont prêts à perdre une nouvelle fois, sans regret. A travers ce récit où les destins se brassent et s'enchevètrent, où l'Histoire de la Tchécoslovaquie épouse la fiction romanesque, Milan Kundera interroge le concept du Grand Retour au pays d'origine. Tendue par une écriture dénuée d'artifice, L'Ignorance est l'une de ses ouvres les plus abouties. La parution d'un nouveau roman de Milan Kundera demeure toujours un événement littéraire. À plus d'un titre. Celui-ci n'échappe pas à cette réalité. Écrit en français, traduit en plusieurs langues, L'Ignorance a déjà connu un succès hors de l'Hexagone. Renouant avec le roman à multiples facettes, à multiples entrées, il s'appuie sur le déracinement et l'exil, imprégné des fragrances subtiles de la Bohême. Entre mélancolie et vin doux. Avec des personnages qui vont, viennent, s'efforcent d'accoster quelque part… Irena, veuve et mère à la fois, réfugiée à Paris à la fin des années soixante, et de retour à Prague vingt ans après ; son ami Gustaf, entrepreneur suédois ; Milada, vieille complice d'enfance ; Josef, également de retour en Bohême, dans une Tchéquie post-révolutionnaire et post-communiste. Des émigrés sans patrie, arrimés à leur passé qui s'est malgré tout échappé, des individus ordinaires chargés du poids lourd de leur existence, mutilés et blessés dans leur chair. Les destins se croisent, se manquent, se cognent. Construit en 53 petits tableaux, L'Ignorance est ponctué de discours philosophiques et de remarques géopolitiques articulés autour du Printemps de Prague, en 1968, et de la Révolution de velours, en 1989, de commentaires sur le voyage homérique et le retour d'Ulysse à Ithaque. Car voilà un récit polyphonique qui pourrait se calquer sur l'Odyssée. Sans grande pompe au débarcadère mais plutôt avec une désillusion dans cette quête improbable de l'identité, ici ou ailleurs, passée ou présente, où l'on se cherche, désespérément ignorant. --Céline Darner Bouleversant roman que cette "Ignorance" au titre évocateur. Les exilés sont ignorés de toutes parts, soit parce qu'ils ont fui leur pays, soit parce qu'ils ne veulent pas y retourner. Car, nous dit Kundera, le désir de retour est lié à la nostalgie ; le retour signifie le mal du pays, la tristesse de l'absence... Milan Kundera a l'art de faire dialoguer la fiction et la réflexion philosophique, le vécu et la pensée, la mémoire, le rire et l'oubli. Comme les très grands livres qu'on peut revisiter sans cesse, "L'Ignorance" est un roman inépuisable, une vertigineuse exploration des limites fragiles de notre identité. "Sur l'avenir, tout le monde se trompe. L'homme ne peut être sûr que du moment présent. Mais est-ce bien vrai ? Peut-il vraiment le connaître, le présent ? Est-il capable de le juger ? Bien sûr que non. Car comment celui qui ne connaît pas l'avenir pourrait-il comprendre le sens du présent ? Si nous ne savons pas vers quel avenir le présent nous mène, comment pourrions-nous dire que ce présent est bon ou mauvais, qu'il mérite notre adhésion, notre méfiance ou notre haine ?" |